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Annick Vermot au pays des bandes dessinées et des mangas

En 2019, Annick Vermot et Olivier Vuagniaux ont repris Zalactorée – La planète BD, librairie spécialisée dans le 9e art à Martigny. Rencontrer Annick Vermot dans son espace de travail, c’est bénéficier de ses précieux conseils de lecture pour toutes les catégories d’élèves. Il est vrai qu’elle possède une formation d’enseignante. Dans sa perception des choses, «la culture est inutile, mais essentielle à tous pour s’ouvrir à la différence».

  

Mais comment d’enseignante devient-on directrice d’une librairie spécialisée dans les bandes dessinées, les comics, les mangas et les romans graphiques? Revenons sur les traces de la petite Annick à l’école avant de suivre son cheminement professionnel. C’est aux Agettes qu’elle a fait son école primaire, dans une classe à degrés multiples. Elle se souvient que son enseignant lui disait qu’elle connaissait les réponses de tous les autres degrés, mais jamais du sien, étant selon ses mots déjà un peu «atypique» et avec beaucoup de fantaisie dans sa tête. Elle ne garde pas un bon souvenir de ses années passées au cycle d’orientation, y ayant subi du harcèlement. Dans ses rêves, adorant dessiner et peindre, elle aurait souhaité devenir une artiste, mais ses parents l’ont incitée à d’abord faire une formation pour pouvoir exercer un métier «alimentaire». Elle a donc opté pour l’Ecole normale. Sa réussite aux examens d’entrée a été une grande joie, ce qui lui a redonné confiance en elle. A l’époque, dans la formation des enseignants, le dessin, les activités créatrices et manuelles ainsi que le chant et la musique avaient une place importante, ce qui correspondait bien à son profil. Encore mieux, elle raconte avoir eu la chance et le privilège de rencontrer Monette Daetwyler. Elle est devenue son « assistante » pour l’organisation des fameux spectacles de fin d’année, et a ainsi découvert l’univers du son. Au sortir de l’Ecole normale, Annick Vermot a effectué des remplacements et travaillé comme technicienne du son. A temps partiel, elle a longtemps été enseignante, médiatrice, puis directrice de l’Atelier d’art de Saillon fondé par Barthélemy Loretan. Engagée comme médiatrice aux musées cantonaux, sous la houlette de Liliane F. Roh ayant à cœur de développer la médiation, elle s’est occupée de l’accueil des classes au Musée d’art et de l’accessibilité des malvoyants. En parallèle, elle a décroché un master en médiation des arts, puis s’est formée à l’Institut supérieur des Beaux-Arts de Besançon, ayant pu bénéficier d’un dispositif de validation des acquis de l’expérience. Elle a aussi été pendant quelques années animatrice en arts visuels pour le CO à la HEP-VS, lors de la mise en place du Plan d’études romand, avec tout le volet formation inhérent. N’ayant soudain plus aucun contrat, elle apprend que Stanislas Moret cherche à passer le flambeau. Avec son compagnon Olivier Vuagniaux, ils décident de se lancer dans l’aventure de la librairie, possédant près de 3000 albums de BD et partageant une passion commune pour cet univers. Une année après avoir repris Zalactorée, ils ont vécu l’épisode Covid avec la fermeture des librairies, puis la période faste pendant laquelle, faute de voyager, les gens lisaient et les parents cherchaient par tous les moyens à éloigner les enfants des écrans. Aujourd’hui, tout n’est pas forcément simple, en raison de la concurrence des géants face aux indépendants, cependant l’atout de Zalactorée, c’est le conseil personnalisé.

«Ayant enseigné à des élèves allophones, je suis très sensible aux BD susceptibles de leur plaire et adaptées à leur niveau.»
Annick Vermot

 

Pour les enseignants, il n’est pas forcément évident de savoir quelle BD choisir afin d’inciter les enfants et les adolescents au plaisir de lire. Y a-t-il une piste à privilégier?

Je suggère en général de commencer par regarder du côté des éditions de la Gouttière. Ils ont dans leur catalogue différentes collections, dont des albums sans texte, ou avec un minimum de mots, ce qui peut s’avérer intéressant pour les élèves en difficulté de lecture ou qui sont allophones, mais ayant plus de 6 ans. Le directeur de cette maison d’édition a une démarche intéressante, car il propose des bandes dessinées favorisant le plaisir de lire tout en portant une attention particulière à la manière dont le texte est écrit pour qu’il soit lisible et le sens accessible. La série Sous les arbres convient parfaitement pour aborder en classe le passage des saisons. Ayant enseigné à des élèves allophones, je suis très sensible aux BD susceptibles de leur plaire et adaptées à leur niveau. Dans L’Automne de Monsieur Grumpf, il y a par exemple cet amusant clin d’œil entre «prendre un verre» ou «prendre un ver dans un verre». La série des Enola, qui aborde des thématiques écologiques, connaît un joli succès. Pour les semaines dédiées à la lecture, nous pouvons faire venir l’une des expositions des éditions de la Gouttière, dont toutes les informations se trouvent sur leur site particulièrement riche, qui offre de plus des fiches pédagogiques pour accompagner les enfants et les adolescents dans la lecture de bandes dessinées.

Et si je vous demande de citer une BD coup de cœur…

Un livre que j’aime beaucoup, ce sont les aventures du Loup en slip parues aux éditions Dargaud qui jouent, selon les âges des lecteurs, avec un double niveau de lecture. Cette série est dérivée de celle intitulée Les Vieux Fourneaux, qui s’adresse aux adultes et a récemment inspiré un film français. Dans Le Loup en slip et le mystère du P silencieux, il est malicieusement question d’orthographe et d’évolution des mots, en regardant du côté de leurs racines. Une petite mésange estime que le nom «oiseau» s’écrit n’importe comment et progressivement le lecteur va notamment comprendre pourquoi on prononce le «p» de slip et pas celui de loup? Là, on est dans une lecture à la fois drôle, poétique et à visée éducative. Parmi mes coups de cœur pour la jeunesse, il y a aussi les Frissons suisses de la maison Auzou.

La production de BD enfantine vous semble-t-elle plus joyeuse que le reste de la littérature jeunesse souvent sombre ces dernières années?

J’en ai l’impression. Même si certains thèmes graves sont abordés, plein de BD offrent des ouvertures lumineuses teintées d’espoir. En la matière, je pense que l’image apporte la plupart du temps une approche plus douce, même si évidemment ce n’est pas toujours le cas. Au niveau des intrigues, beaucoup de thèmes d’actualité sont abordés, avec une richesse graphique assez extraordinaire.

Dans votre activité de libraire, conseillez-vous parfois des enseignants?

Oui, nous avons un petit cheptel d’enseignants, dont des Vaudois, qui viennent pour être conseillés ou pour profiter des nombreux livres d’occasion que nous avons dans une petite pièce attenante à la librairie. Cela leur permet d’organiser une bibliothèque de classe à des prix attrayants. Nous leur donnons volontiers des posters ou des cartons qui peuvent être utilisés pour des activités créatrices et manuelles. Grâce à nos contacts directs avec les éditeurs et les diffuseurs, nous collaborons également avec les bibliothèques pour renouveler les lectures suivies.

Selon vous, y a-t-il encore une défiance de l’école envers la bande dessinée?

Nettement moins qu’autrefois, mais cette défiance s’est déplacée envers les mangas. Les adultes, dont les enseignants, peinent souvent à savoir quels sont les mangas qui conviennent en fonction des âges, ce qui est compréhensible, sachant que la culture japonaise a d’autres codes, notamment en matière des normes associées à la représentation de la violence. Comme pour la bande dessinée, il s’agit de vérifier ce qui convient pour quel public. 

Comment définiriez-vous les atouts de votre librairie?

Nous sommes l’unique librairie spécialisée en bandes dessinées du canton. L’espace dédié aux jeunes lecteurs, avec un coin BD et un coin manga, est conséquent. Notre véritable force, c’est qu’avec Olivier nous avons des centres d’intérêt complémentaires. Même si nous lisons évidemment parfois les mêmes livres, Olivier s’intéresse plutôt aux comics et à la BD pour adultes et moi aux BD pour enfants et aux mangas. Au vu du rythme éditorial, c’est utile que chacun ait ses dicastères pour parvenir à suivre les nouveautés.

En tant que libraire, quel est votre rapport à la lecture?

Chaque soir, Olivier et moi lisons pendant au moins une heure. Souvent, on se raconte l’un l’autre les scénarios et on partage nos impressions. Ensuite, dans le magasin, pour conseiller au mieux les clients, on tend l’oreille pour compléter les infos données ou alors on opère des changements volants non identifiés.

Est-ce facile de se faire une place sur le marché de la BD et du manga avec du talent?

Selon les périodes de l’année, la bataille pour avoir un peu de visibilité est extrêmement rude face à des géants, tels qu’Astérix ou Blake et Mortimer. Les titres à succès ont tendance à invisibiliser de magnifiques livres, comme dans le reste de l’édition littéraire. La petite nouveauté dessinée avec amour et talent par un artiste moins connu peine à se faire une place et notre défi, comme c’est le cas par exemple avec le dernier album illustré par Benjamin Jurdic, originaire de Saillon et habitant du côté de Lyon, c’est de parvenir à partager notre enthousiasme pour inciter les lecteurs à découvrir ces trésors cachés ou moins visibles.

Qu’est-ce qui vous motive au quotidien?

Déjà j’aime toujours lire. Ce qui me plaît dans ce job, outre l’entreprise en elle-même qui nécessite une grande attention pour la faire vivre, c’est d’avoir la chance de rencontrer de nombreux lecteurs passionnés de tous âges. Les dédicaces sont aussi l’occasion de formidables moments de partage entre scénaristes, dessinateurs et lecteurs.

 

Propos recueillis par Nadia Revaz


LA PLANÈTE BD EN QUELQUES TITRES
POUR PETITS, MOYENS ET GRANDS

 

Dans les profondeurs de l’océan
Loïc Dauvillier et David François. Myrmidon sous les mers. Amiens: Les éditions de la Gouttière, 2024 (tome 7, album «sans texte»).

 

Livre sélectionné pour le prix français Chronos bulles 2025
Valentine Choquet. Quand j’ai froid. Amiens: Les éditions de la Gouttière, 2024 (album «sans texte»).

 

Autour des quatre saisons
Dav. Sous les arbres – Un chouette été. Amiens: Les éditions de la Gouttière, 2021 (tome 3, album «premières lectures»).

 

BD Enola

Enola, une vétérinaire hors du commun
Joris Chamblain et Lucile Thibaudier. Enola et les animaux extraordinaires – La Gargouille qui partait en vadrouille. Amiens: Les éditions de la Gouttière, 2015 (tome 1, album «premières lectures»).

 

BD sixtine

A la découverte du monde des ombres
Frédéric Maupomé et Aude Soleilhac. Sixtine – Le salut du pirate. Amiens: Les éditions de la Gouttière, 2020 (tome 3, album «tout public»).

 

BD Loup slip

Un album sur l’orthographe
Wilfrid Lupano et Mayana Itoïz. Le Loup en slip et le mystère du P silencieux. Paris: Dargaud, 2023 (tome 8, album jeunesse)

 

BD dernier livre

Un thriller d’anticipation pour parler du support papier
François Durpaire et Brice Bingono. Le dernier Livre. Paris: Glénat, 2021 (BD documentaire).

 

 MangaRadiantTome1.Kilipouss

Premier auteur de manga français publié au Japon
Tony Valente. Radiant. Roubaix: Ankama, 2013 (tome 1 sur 19 déjà parus, avec adaptation en animé).

 

BD Histoires Art

Une BD géniale pour les profs d’histoire de l’art et les curieux
François Maret in Histoires de l’art en BD – A la rencontre des peintres, de la Renaissance au XIXe siècle. Malakoff: Dunod Graphic, 2024.

 

BD Olovia

Une IA qui prend de curieuses décisions
Daniel Cordonier et François Maret. Olovia – La réponse est sur Terre. Lausanne: Favre, 2025 (tome 1)

 

 

Pour aller plus loin

 

Autour des livres des éditions de la Gouttière
Le site propose des extraits à feuilleter, des fiches pédagogiques téléchargeables gratuitement pour accompagner la lecture, des jeux,etc.
https://editionsdelagouttiere.com

 

Pour en savoir plus sur Zalactorée – La planète BD
La librairie est à découvrir à deux pas de la Gare de Martigny, à la rue du Léman 8.
https://zalactoree.com


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