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Yasmina Giaquinto, une enseignante devenue directrice de la Librairie du Baobab

Avant de diriger la Librairie du Baobab à Martigny, Yasmina Giaquinto était enseignante. Son parcours est singulier, tout comme sa librairie, dont le rayon jeunesse est particulièrement étoffé. A noter qu’elle est membre du comité de l’Association Littéra-Découverte présidé par Nicole Rappaz, collaboratrice à la Médiathèque Valais de Saint-Maurice.

Après l’école de commerce, Yasmina Giaquinto est passée par l’Ecole privée Ardévaz à Sion, ce qui lui a permis d’obtenir un baccalauréat français, ayant préféré cette voie plus rapide à celle de la maturité fédérale. A l’aise avec l’apprentissage des langues, elle a d’abord songé à se former à Genève pour devenir traductrice-interprète, puis a finalement opté pour la Faculté des lettres à l’Université de Lausanne. Elle a étalé la durée de ses études, du fait qu’elle travaillait en parallèle, notamment dans l’accompagnement de personnes en situation de handicap. Sans avoir l’intention de s’orienter dans l’enseignement, surtout pour ne pas faire comme la plupart des étudiants en faculté des lettres, elle a tout de même donné quelques cours d’appui. Lorsque sa colocataire, qui enseignait à des adultes dans une école privée, est partie en échange Erasmus, afin qu’elle ne perde pas son emploi, elle a accepté de la remplacer, donnant des cours de français et d’anglais. Elle se souvient: «Comme j’adore le lien humain, j’ai tout de suite aimé contribuer à l’intégration de ces personnes par le biais de la langue, d’autant que le partage culturel était juste magique.» Elle est ensuite devenue enseignante à l’Ecole privée des Buissonnets ainsi qu’à l’Ecole cantonale d’art du Valais. Sa palette s’est étendue, puisqu’elle avait en plus des heures d’allemand. En 2000, elle répond à une annonce de l’Ecole professionnelle commerciale et artisanale (EPCA) de Sion et dispensera des cours de français, d’anglais et d’allemand dans la section commerce et maturités professionnelles pendant 14 ans. Elle a suivi une formation pédagogique dispensée alors par l’IFFP et à distance par le CRED et est par ailleurs devenue médiatrice scolaire à l’EPCA. «Je pense que tout enseignant, et plus largement tout être humain ne vivant pas dans une caverne, devrait avoir une formation de médiateur», commente-t-elle. Et la voilà qui liste les outils permettant de «dénouer des nœuds et nouer des relations» qu’elle y a découverts et qu’elle utilise dans bien des situations. Si elle était satisfaite du lien tissé avec les élèves, au fil du temps elle s’est sentie en décalage avec ses collègues, en partie parce qu’elle bousculait les codes, étant plus du côté de la communication et de la relation que de la seule transmission des savoirs. Elle exemplifie: «Quand un jeune va mal ou qu’on est face à une problématique de classe, dans un cours d’anglais par exemple, je trouve préférable de communiquer dans cette langue autour des émotions ressenties ou de parler d’une chanson après l’avoir écoutée, plutôt que de vouloir absolument avancer avec le “present perfect” parce que dans le programme c’est le moment d’atteindre sa maîtrise.» Yasmina Giaquinto n’a pas seulement fait l’éloge du «et si…», elle a osé changer de carrière pour ouvrir sa propre librairie en septembre 2013, créant un lieu de vie coloré, dans une ambiance créative, qui reflète sa personnalité.

 

«Le livre a toujours fait partie de ma vie, comme une respiration que l’on s’offre
Yasmina Giaquinto


 

INTERVIEW

 Yasmina Giaquinto, avant d’ouvrir votre librairie, étiez-vous une grande lectrice?

Le livre a toujours fait partie de ma vie, comme une respiration que l’on s’offre, mais sans pouvoir pour autant me qualifier de grande lectrice. Jamais je n’avais envisagé de gérer une librairie. Tout est parti d’une discussion faisant écho à mon désir de changement. J’ai surtout eu l’envie d’imaginer un lieu différent, mettant les livres en lumière, tout en privilégiant le dialogue.

D’où le nom de «Baobab», évoquant l’arbre à palabres…

Oui, même si je l’ai choisi un peu au hasard. A Lausanne, il y avait la librairie Les Yeux Fertiles dont j’aimais le nom, mais celui-ci étant déjà pris… Soudainement, j’ai repensé à un documentaire sur Madagascar, avec ces gens du village qui se réunissaient autour du baobab. Dans une ville de platanes, la «Librairie du Baobab», c’est assez drôle.

Les enseignants sont-ils nombreux à fréquenter votre librairie?

Ils sont peu à venir en librairie, ne serait-ce que pour fouiller. Nous avons rarement des demandes pour des livres de didactique ou de pédagogie. A une période, il y avait un vif intérêt pour les sujets en lien avec le TDAH et d’autres troubles connexes, mais ce n’est plus le cas. En revanche, certains parents accompagnent leurs enfants pour leur faire découvrir la lecture, toutefois c’est une catégorie qui tend également à se raréfier. J’ai tout de même de jolies anecdotes avec des enseignants avec qui j’ai noué des liens.

Vos chroniques dans divers médias sont-elles une manière de parler autrement des livres?

Oui, je crois à la nécessité de décloisonner la lecture. Mon slogan, c’est «la librairie en mouvement», allant de l’intérieur vers l’extérieur ou l’inverse. Membre du jury du concours de slam organisé par la Médiathèque il y a quelques années, j’avais invité les gagnants à se produire dans ma librairie, considérant qu’il fallait leur donner l’occasion d’avoir un vrai public.

 

«Certes je vends des livres, mais j’ai aussi un rôle de médiatrice culturelle à jouer
Yasmina Giaquinto

Selon vous, quelles seraient les pistes pour promouvoir davantage la lecture auprès des élèves?

A mon sens, il s’agit de créer du réseau et je l’ai encore récemment dit à un enseignant ainsi qu’à la bibliothécaire du CO d’Octodure Mireille Maret. Je suis convaincue que tous les acteurs susceptibles d’atteindre un enfant ou un adolescent qui pourrait passer un peu de temps à bouquiner au lieu d’être scotché à son écran doivent s’unir. Dans mon cas, certes je vends des livres, mais j’ai aussi un rôle de médiatrice culturelle à jouer. J’aimerais pouvoir aller dans les écoles avec un petit choix de bouquins, simplement pour les présenter, sachant que les livres qu’on a lus ou qu’on est en train de lire nous ont souvent été conseillés par quelqu’un. Je note tout de même de belles initiatives, comme celle du CO à Martigny qui a mis sur pied depuis peu des temps de lecture réguliers et collectifs.

Au sein de votre librairie, que faites-vous pour diffuser le plaisir de lire?

Selon moi, rien qu’en regardant les vitrines, on doit percevoir l’univers que l’on souhaite partager, de façon à pouvoir entraîner un non-lecteur à ouvrir la porte de la librairie. Une fois à l’intérieur, le client découvre des tables avec des thématiques, par exemple autour de l’IA et des écrans. Pour aider les lecteurs dans leur choix, je mise aussi sur les bandeaux des livres, avec les commentaires de mon équipe ou les miens. A côté de cela, il y a encore nos événements littéraires et tout ce que l’on trouve sur le site internet ou sur les réseaux sociaux.

Face aux écrans et à l’IA, vous inquiétez-vous pour la place des librairies?

Après le Covid, la guerre non loin de chez nous, l’inflation, je constate qu’avec l’enveloppe budgétaire qui reste, les gens ont de moins en moins d’argent dévolu aux loisirs et aux petits plaisirs, dont la lecture, même si c’est un bien culturel. Lors du réassortiment, je mesure la place toujours plus grande occupée par les collections de poche pour les adultes et les albums jeunesse. Les 12-16 ans sont les grands absents de la librairie, et ceux qui viennent se plaignent la plupart du temps de devoir lire un livre et préfèrent le choisir en fonction du nombre de pages, n’ayant pas l’idée que lire puisse procurer du plaisir. Avec l’omniprésence des écrans et l’émergence de l’IA, il s’agit de valoriser nos cerveaux et nos émotions. Ce qui m’inquiète le plus, c’est le côté lisse de notre société et de mon point de vue le plus urgent serait de retrouver l’ondulation et le relief. Voilà pourquoi je propose un lieu de dialogue et de partage d’émotions autour des livres.

Le livre papier vous paraît-il menacé?

Dans le cadre des cours d’appui pour les apprentis que je donne et qui sont organisés par la commune, une de ces jeunes a exprimé son désarroi face à l’évolution vers les livres électroniques avec licence. Chaque année à la rentrée, je constate cette évolution en téléchargeant les listes de plus en plus courtes de livres papier restant encore au programme. Dans le même temps, certains pays scandinaves reviennent au papier dans les écoles, alors qu’ils étaient passés au tout numérique, dès lors je peine à savoir quelle tendance le futur nous réserve, mais le milieu scolaire sert d’indicateur. Je suis d’avis qu’il serait peut-être judicieux d’éviter de reproduire les mêmes erreurs avec quelques années de décalage.

Désormais entourée de livres, lisez-vous beaucoup?

Evidemment que je lis, mais pas autant que certains le supposent, car on n’imagine pas toutes les responsabilités liées à la gestion d’une librairie indépendante. J’ai toutefois choisi chaque livre qui se trouve dans les rayons. C’est un métier qui développe la mémoire photographique, de façon à parfois pouvoir créer de l’illusion.

Propos recueillis par Nadia Revaz

 

POUR EN SAVOIR PLUS
La librairie Baobab est à découvrir à deux pas de la Gare à Martigny.
https://librairie-baobab.ch


Des idées de lecture pour élèves et enseignants

 

Des livres et moi

C’est un livre idéal pour les 10-12 ans sous la forme d’un échange de mails entre Alex et l’auteur dont il aurait dû livre un livre pour un devoir de français… Certains de ceux qui n’aiment pas lire peuvent devenir lecteurs grâce à ce livre.

Matt7ieu Radenac. Des livres et moi. Paris: Syros Jeunesse, 2017.


Graine de secouriste

Natacha Farquet, originaire du Valais et qui était médecin, écrit désormais pour la jeunesse. En partenariat avec Air Glaciers, la série Graine de secouriste propose aux enfants dès 8 ans de découvrir des histoires qui sont arrivées à Julie, dont la tante est secouriste. Chaque tome contient une page pour initier les enfants aux premiers secours.

Natacha Farquet (texte) et Caroline Modeste (illustrations). Graine de secouriste – Tome 1: Baptême de l’air / Tome 2: Accident en montagne. Paris: Auzou suisse, 2024.

 

L montagne livres

La montagne de livres

Ce livre pour enfants raconte l’histoire d’un garçon qui rêve de voler comme un oiseau. Il s’essaie à la fabrication d’ailes, mais sa mère lui montre une autre façon de s’envoler grâce aux livres. C’est un livre à tiroirs, avec des références à Pinocchio, au Petit Prince, etc.

Rocio Bonilla. La montagne de livres. Strasbourg: Editions Père Fouettard, 2017.

L dictionnaire envers

Le dictionnaire à l’envers

Les enseignants devraient s’emparer de cet album pour encourager les élèves à l’utilisation du dictionnaire papier, tant il est génial. C’est l’histoire d’un livre jamais très sûr de lui, parce qu’il aborde de si nombreux sujets, mais pour qui tout change le jour où il va donner vie aux mots.

Sam Winston (texte), Oliver Jeffers (illustrations), Claire Billaud (traduction). Le dictionnaire à l’envers. Paris: Kaléidoscope, 2025.

L en surface

En surface

C’est un livre fort, qui pose la question de savoir si une mère doit tout pardonner à son fils. Il est écrit par un écrivain et scénariste d’origine tessinoise qui enseigne à Neuchâtel. Son roman Les silences avait été traduit par Joseph Incardona, mais celui-ci, il l’a écrit en français.

Luca Brunoni. En surface. Le Bouscat: Finitude, 2025.

 

 

 

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Michel Desmurget, connu pour avoir écrit La fabrique du crétin digital, est aussi l’auteur d’un plaidoyer démontrant scientifiquement l’importance de la lecture.

Michel Desmurget. La fabrique du crétin digital – Les dangers des écrans pour nos enfants. Paris: Seuil, 2019 (format poche 2020).

Michel Desmurget. Faites-les lire – Pour en finir avec le crétin digital. Paris: Seuil, 2023 (format poche, 2024).


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