L’école vue par Tarek Kerrache, enseignant au CO de Conthey
Tarek Kerrache enseigne au Cycle d’orientation de Derborence à Conthey depuis la rentrée scolaire 2023. Dans cet établissement, il donne des cours de français, de sciences humaines et sociales (SHS), d’anglais ainsi que d’éthique et cultures religieuses (ECR). Avec une expérience préalable de douze années au secondaire I dans un collège vaudois, il a choisi de s’établir avec sa famille en Valais.
Tarek Kerrache a grandi et effectué sa scolarité dans la région lausannoise, avant d’étudier à l’UNIL en Faculté des lettres (français, histoire ancienne, histoire et sciences des religions). Un instant tenté par le journalisme, il a finalement choisi de compléter sa formation universitaire à la HEP Vaud pour enseigner au secondaire I. C’est une fois dans sa classe qu’il a véritablement eu un coup de foudre pour son métier, dont la richesse est selon lui d’en réunir plusieurs en un seul. Dans le collège où il a enseigné antérieurement, il avait eu la chance de donner des cours facultatifs de théâtre et, après avoir suivi la formation de praticien formateur, d’accueillir de futurs enseignants lors de stages, ce qui l’a amené à se forger progressivement une vision plus globale de l’école.
Tarek Kerrache devant le mur d’escalade dans la cour d’école du CO
INTERVIEW
Tarek Kerrache, quelles sont les grandes différences entre l’école vaudoise et valaisanne?
En changeant de canton, j’avoue avoir nourri de grandes attentes, mais avec l’harmonisation romande, il y a surtout des ressemblances. Certes, avec de petites différences, même si c’est vraiment à nuancer, sachant que certaines peuvent s’observer d’un CO à l’autre. Concernant la particularité de l’organisation dans l’école valaisanne, je citerai la présence des inspecteurs. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, leur rôle ne se limite pas au contrôle, mais englobe l’accompagnement, avec le croisement des regards. Grâce à cette fonction à mi-chemin entre le terrain et le Service de l’enseignement, j’ai l’impression que l’école valaisanne bénéficie d’un bon encadrement. Au CO de Derborence, avec la grande implication du directeur et des adjoints, j’ai mieux perçu la notion d’orientation propre aux CO, le suivi des élèves étant vraiment au cœur de la mission confiée.
Qu’est-ce qui vous motive le plus dans votre profession?
J’apprécie d’être quelqu’un qui compte dans le développement des jeunes, aussi je me sens très bien au secondaire I. Bien que ce ne soit pas toujours facile à réaliser, je suis satisfait lorsque mes élèves viennent en classe avec plaisir. Je continue d’utiliser le théâtre comme outil pédagogique pour favoriser la motivation et l’autonomie. J’essaie de leur transmettre des valeurs, car je sais que les jeunes ont besoin d’espoir, étant donné la noirceur du monde qu’on leur dépeint trop souvent. Dans les classes au CO de Conthey, tous les élèves sont mélangés chaque année. Cette pratique m’a d’abord semblé étrange, mais à la réflexion l’idée est bonne, car elle permet à plus d’enseignants d’avoir un impact positif sur les jeunes, chaque adulte y apportant sa personnalité.
Quel aspect de l’école vous paraît plus problématique aujourd’hui?
Selon moi, la principale difficulté, c’est d’avoir à différencier toujours plus, même si je tente d’y voir un challenge. Je rêverais d’avoir plus de temps pour amener certains élèves en difficulté vers la réussite, tout en reconnaissant la complémentarité des solutions de soutien mises en place. Par rapport à mes débuts dans le métier, j’ai l’impression que les élèves ayant des troubles de l’attention, qu’ils soient ou non diagnostiqués, ont sensiblement augmenté. Presque tous ont envie de bien faire, mais ils sont nombreux à ne pas parvenir à se concentrer. A noter que cette problématique n’est pas seulement générationnelle, mais sociétale.
A partir de quel moment avez-vous réfléchi à des pistes d’amélioration de l’école?
C’est venu très progressivement au contact de stagiaires. Mon questionnement s’est intensifié en assistant à certaines conférences de spécialistes s’étant intéressés à la génération actuelle de nos élèves. En classe, je suis d’avis que le format proposé est devenu inadapté pour certains d’entre eux et la baisse significative de la maîtrise des savoirs fondamentaux en est la preuve. Je pense que notre école a urgemment besoin de repenser certaines dimensions de son modèle.
«Je pense que notre école a urgemment besoin de repenser certaines dimensions de son modèle.»
Tarek Kerrache
Beaucoup de gens partagent ce point de vue, cependant le défi est de savoir par où commencer. Quelle serait votre suggestion?
Je n’ai pas de réponse définitive. Je me dis que l’une des pistes consisterait à lancer un groupe de travail avec des enseignants volontaires pour questionner le modèle actuel et y apporter un certain renouveau. Et pourquoi ne pas expérimenter dans quelques classes, évidemment en accord avec les directions, de nouvelles approches pour voir si une autre organisation pédagogique s’avérerait mieux adaptée ? Au secondaire I, j’estime également important de renforcer le dialogue avec le secondaire II, qu’il s’agisse des enseignants au collège, en ECG, en école professionnelle ou avec des patrons d’apprentissage. Ecouter les élèves pour comprendre leurs besoins est également une priorité à mes yeux. En discutant avec d’anciens élèves, je remarque qu’ils sont nombreux à déplorer le manque de sens donné aux apprentissages en contexte scolaire.
Quel serait le format d’enseignement que vous proposeriez d’expérimenter?
Pour exemple, je serais curieux de savoir si l’enseignement par projets interdisciplinaires ne permettrait pas aux élèves d’avoir moins de lacunes au niveau des savoirs fondamentaux, étant donné que le programme est de plus en plus vaste et le socle de plus en plus fragile. Cela me motiverait de pouvoir tester un modèle avec une collaboration dynamique entre un enseignant «littéraire» et un autre «scientifique», afin de déterminer si un changement d’organisation pédagogique pourrait contribuer à mettre en avant la complémentarité entre les disciplines. Les projets pourraient motiver les élèves à s’investir davantage pour apprendre mieux. Cette idée me semble intéressante sur le plan pédagogique et viable sur le plan économique. A mon avis, il conviendrait aussi de se demander s’il ne serait pas judicieux d’avoir des éducateurs au CO pour tisser des liens plus forts entre école et famille ou alors de réfléchir comment mieux outiller les enseignants pour faire face à l’hétérogénéité croissante.
Jugez-vous la place accordée aux apprentissages fondamentaux trop limitée?
Assurément. Le message des politiques et des autorités scolaires devrait être plus clair sur ce qui relève des apprentissages fondamentaux, mais là encore tout doit se construire avec la réalité du terrain, car c’est ensemble que nous devons repenser le modèle scolaire pour ne pas se contenter de mettre quelques sparadraps ici et là.
Diriez-vous que l’école devrait s’ouvrir davantage sur ce qui se passe à l’extérieur de ses murs?
Ce serait un atout d’inviter des professionnels dans l’école ou de sortir plus souvent avec les classes, mais avec un programme chargé et des périodes de 45 minutes, c’est vite une mission presque impossible. Au CO de Derborence, je trouve déjà formidable que tous les élèves de 10CO doivent faire deux jours de stage obligatoire.
Faudrait-il oser la carte de l’audace pour transformer l’école?
Il y a une tendance à ne pas oser investir pour améliorer notre modèle scolaire, oubliant que sur le long terme c’est un très mauvais calcul. Je comprends l’importance de ne pas râler et de parler en bien du métier, toutefois il me paraît essentiel de reconnaître que certains enseignants s’essoufflent et que des élèves décrochent, d’autant que ce phénomène ne se limite pas à l’échelle cantonale.
Propos recueillis par Nadia Revaz