Un film réalisé par des enfants allophones
A l’école de Martigny-Bourg, sept élèves allophones de la 5H à la 8H ont développé leurs compétences dans la maîtrise du français et certaines capacités transversales en tournant un documentaire, avec l’aide de leur enseignante de soutien Mélanie Pitteloud, qui a par ailleurs une riche expérience de réalisatrice.

Au cœur de l’histoire, leur rencontre avec Jean-Michel Delaloye dans son ranch à Riddes. Le film a été présenté aux autres classes en juin dernier. Dans le cadre de l’étape du lancement de sa diffusion en libre accès, Antonio (7H), Lorin (6H) et Nikita (8H), trois élèves d’origine tchèque, kurde et ukrainienne ayant participé à cette aventure et bénéficiant encore pour quelques mois des cours de soutien aux élèves allophones, et leur enseignante racontent la fabrication du documentaire.
C’est en découvrant la passion de Jean-Michel Delaloye pour les chevaux que Mélanie Pitteloud a pensé tenir là un bien beau sujet à proposer à Antonio, Jemima, Lorin, Nikita, Pedro, Shifa et Sonya. Nikita relate comment tout a commencé: «La maîtresse nous a dit qu’on allait faire un film sur les chevaux de Jean-Michel.»
Mélanie Pitteloud, Lorin, Antonio et Nikita lors de l'interview devant leur salle de cours
LA PRÉPARATION DU TOURNAGE SUR UN MOIS
«La maîtresse nous a dit qu'on allait faire un film sur les chevaux de Jean-Michel.»
Nikita
Pendant les cours de français, les élèves ont appris à filmer. «On a testé le matériel en classe avant le tournage», explique Lorin. Nikita et Lorin ont voulu être caméraman et camérawoman, tandis qu’Antonio s’intéressait à la prise de son. S’il y avait plusieurs caméramans sur le tournage, c’est parce qu’il s’agissait d’être avec ou sur les chevaux, tout en prenant un maximum d’images pour le documentaire. Le groupe a aussi consacré du temps à la préparation de nombreuses questions pour être posées au «cowboy valaisan» qui furent ensuite sélectionnées par vote.
«On a testé le matériel en classe avant le tournage.»
Lorin
JEAN-MICHEL ET LES CHEVAUX DE RIDDES
Le jour J, le groupe est parti à Riddes en train. C’est la première séquence du documentaire, pas évidente à filmer, car il s’agissait d’avoir une prise de vue stable. Une fois à la gare, les élèves avaient une carte pour trouver le chemin jusqu’au ranch.
Les voilà arrivés sur le lieu de tournage. «On a dit bonjour à Jean-Michel, puis on a caressé les chevaux», commente Lorin. Tous trois parlent du brossage, et le mot exact d’étrille est prononcé après une toute petite hésitation. Antonio, en détaillant les diverses zones du ranch, s’enthousiasme: «Il y avait des barrières et on a fait des exercices pour apprendre à guider les chevaux.» Et Nikita précise: «Oui, et on est aussi monté à cheval.»
Photo lors du tournage - © Ecoles primaires de Martigny & Mélusine Films, 2025
UN TOURNAGE SUR UNE JOURNÉE
Lors du tournage réalisé sur une seule journée, les élèves ont apprécié d’avoir la possibilité de se glisser dans la peau de cinéastes en herbe, se rappelant avoir parfois oublié d’appuyer sur le bouton rouge d’enregistrement. Antonio, seul responsable du son, parle de l’importance de régler correctement le volume et de placer le micro au bon endroit. Nikita observe que porter longtemps la caméra n’était pas forcément facile.
Photo lors du tournage - © Ecoles primaires de Martigny & Mélusine Films, 2025
UNE RÉALISATION SUR DEUX MOIS
A la question de savoir si le montage a pris du temps, les élèves soupirent. «Comme on a filmé sur un jour, je pensais qu’on allait le regarder et que le montage se ferait rapidement», analyse Nikita. Et Antonio d’ajouter: «Le film en entier était très long et on a fait des choix pour couper beaucoup, vraiment beaucoup.» Lorin complète: «On a aussi mis de l’ordre dans les petits bouts de films.» Mélanie Pitteloud relève qu’il y avait 2h15 de rushes. Si c’est elle qui a monté le film sur son ordinateur, les élèves ont suivi et participé à l’avancement du travail, avec la projection des images progressivement réduites sur un mur de la classe.
Alors que les élèves réfléchissaient à l’affiche en partant des photos du film, ils ont vu le dessin de Sonya et ce fut une évidence, tant il est beau.
LES MEILLEURS MOMENTS
Interrogés sur les moments forts de l’aventure, les trois élèves répondent que c’était de monter à cheval et de tourner le film. A leur âge, ils ont peu conscience de l’enrichissement de leur vocabulaire à travers ce projet, mais ils énumèrent les mots appris en lien avec les chevaux et le cinéma, devenus experts sans le savoir.
Photo lors du tournage - © Ecoles primaires de Martigny & Mélusine Films, 2025
LA PRÉSENTATION DU FILM
En juin dernier, les familles ont visionné avec fierté leur travail. Deux projections ont été organisées à l’école, en présence de Jean-Michel Delaloye et sous une pluie de félicitations, dont celle du directeur des écoles de Martigny et de Vernayaz, Patrice Moret. Les élèves ont ensuite pu poser des questions sur le tournage du film.
«Faire un film, cela apporte beaucoup de satisfaction.»
Antonio
LE DOCUMENTAIRE DÉSORMAIS EN LIGNE
Les trois élèves incitent d’autres enseignants à réaliser un documentaire avec leurs élèves allophones. «Faire un film, cela apporte beaucoup de satisfaction, même si le terminer prend du temps», souligne Antonio. Lorin poursuit l’argumentaire: «Tourner avec des chevaux est une bonne idée parce que les enfants seront contents.» Et Nikita conclut: «C’est une chance de faire un film et de pouvoir apprendre sans être toujours en classe.»
Dans le film, le passage où Jean-Michel Delaloye évoque la signification du drapeau du ranch est émouvant. On se dit alors qu’il était le personnage idéal pour une rencontre avec des élèves allophones. «Hanata, ça veut dire paix en langue sioux», se souvient Antonio.
Leur film est désormais en libre accès sur le site de Mélanie Pitteloud et il peut être emprunté à la Médiathèque Valais au format DVD. Sollicités pour indiquer les raisons de regarder leur documentaire, les élèves relèvent qu’il faut le voir parce qu’il est court et cool. Alors il ne vous reste qu’à scanner le code QR…
Comme vous aviez déjà travaillé à Martigny avec une classe pour le film Graines d’égalité, en quoi cette expérience était-elle différente?
Sur Graines d’égalité, j’intervenais dans une classe en tant que cinéaste, tandis que là c’était en tant qu’enseignante avec la casquette de productrice, ce qui n’a rien à voir. Pour me lancer le défi de faire un documentaire avec ce groupe en cours de soutien, il m’a fallu une inspiration, la passion de Jean-Michel pour ses chevaux, et un élan, la rencontre avec deux groupes d’élèves engagés et motivés que j’ai réunis pour constituer une équipe de sept cinéastes. L’idée est aussi partie d’eux, car en leur ayant montré des extraits de mes films, ils ont exprimé l’envie d’en réaliser un avec moi.
Qu’a apporté ce projet à vos élèves allophones?
Ce documentaire leur a permis de travailler tous les axes du programme de français, ainsi que la confiance en soi et l’éducation numérique. Ils ont relevé avec succès le défi de concentration pendant le tournage. Ce que j’apprécie dans la pédagogie de projet, c’est la mise en valeur des qualités humaines de chaque élève.
Comment évaluez-vous la progression en communication de vos élèves?
J’ai été touchée de voir l’investissement de mes élèves pour communiquer avec Jean-Michel. Ils ont développé des capacités d’écoute, travaillé le vocabulaire, la grammaire et la conjugaison sans s’en rendre compte.
En quoi ce projet était particulièrement approprié pour des élèves allophones?
Ces élèves ont besoin de temps pour s’acclimater et là il y avait une régularité autour de ce projet évoluant progressivement d’une séance à l’autre, ce qui les motivait. Les mettre en relation avec les chevaux, avec qui ils ont pu communiquer sans barrière langagière par le toucher, a aussi été quelque chose de fort.
Qu’est-ce que ce projet vous a apporté?
J’ai aimé les voir travailler ensemble, s’entraidant pour atteindre un objectif commun. L’étape du montage du film est magique lorsque les scènes s’enchaînent pour raconter une histoire, et leur joie m’a émue.
Y a-t-il eu des moments difficiles à gérer?
Ça aurait pu, mais très franchement non. J’ai mis un cadre, car je leur confiais mon premier équipement professionnel, et ils l’ont respecté, étant par ailleurs très organisés.
Pourquoi regarder ce film?
Jean-Michel est un personnage touchant et étonnant, avec son univers américain au cœur du Valais. Son message de paix entre les peuples résonne avec les parcours d’intégration des élèves allophones.
Propos recueillis par Nadia Revaz