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Jérôme Moulin, enseignant en 8H, et le transfert des savoirs

Depuis cette rentrée scolaire, Jérôme Moulin enseigne en 8H à Martigny-Bourg, dans une classe qu’il qualifie de semi-flexible. Jusqu’en 2019, il était banquier.

Après sa scolarité obligatoire à Martigny, Jérôme Moulin choisit d’étudier à l’Ecole supérieure de commerce aussi dans la Cité octodurienne. A la fin de sa 3e année, alors qu’il s’était inscrit pour le stage d’une année en entreprise, il apprend qu’un raccordement au collège est possible. Il se lance et, grâce à une passerelle, il entre directement en 4e année, en option économie, au Lycée-Collège de l’Abbaye à Saint-Maurice. Un jour, l’un des profs qu’il apprécie a mentionné qu’il trouvait préférable d’avoir eu une autre activité professionnelle avant d’enseigner, de façon à avoir un vécu à transposer en classe. Une suggestion entendue par l’étudiant qui se projetait dans l’enseignement, étant très à l’aise avec les jeunes en donnant des cours de karaté. Une fois sa maturité en poche, il part à l’Université de Lausanne étudier l’économie en HEC. Après deux ans, ne se sentant pas adapté à la vie de campus, il opte pour un stage bancaire destiné aux porteurs de maturité à Lausanne et en effectue un autre à Zurich dans le secteur du trading. Il devient conseiller à la clientèle à Nyon puis à Vevey, complétant sa formation par un brevet fédéral dans la banque et la finance. Il travaille pendant près de 10 ans à l’UBS, puis à cause des crises financières successives et de sa recherche de valeurs humaines loin de la course aux bonus, il décroche un poste avec un salaire fixe à la Banque Migros et y restera pendant près de 4 ans. Ayant toujours en tête l’idée d’une reconversion, il songeait à donner des cours d’économie ou de droit au secondaire II, cependant une rencontre lui a fait découvrir le métier d’enseignant au primaire. Il a commencé par faire des stages pour s’assurer de son choix, avant de mettre un peu d’argent de côté sur son salaire de gestionnaire de fortune pour pouvoir prendre le chemin de la HEP-VS.

 

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INTERVIEW

En tant qu’élève, étiez-vous à la recherche du sens des apprentissages?
Hélas non. Les notes étaient ma seule motivation. Très scolaire, j’apprenais ce qu’on me disait d’apprendre, sans interroger le pourquoi et le comment.

«Il m’arrive assez fréquemment de relier
certains apprentissages à mon passé professionnel ou à mon expérience de vie.»
Jérôme Moulin
 

Désormais enseignant en 8H, qu’est-ce qui vous apporte le plus d’enthousiasme?
J’aime bien sûr le niveau des interactions avec des enfants de cet âge qui sont des adultes en devenir, mais je trouve surtout la dimension généraliste du métier passionnante. C’est extraordinaire de pouvoir enseigner toutes ces branches en lien avec le développement des capacités transversales. Accompagner les élèves dans la construction de leur savoir en tentant de faire surgir le sens des apprentissages est assez magique.

Votre parcours dans la finance vous donne-t-il une sensibilité supplémentaire pour mettre en résonance le programme avec le monde autour de l’école?
Je l’espère, car la question du sens des apprentissages est à mes yeux centrale. Je questionne mes élèves pour connaître les métiers qui les intéressent. Il m’est facile d’expliquer à celui qui envisage de devenir informaticien en quoi s’investir en cours de maths est important, pouvant lui montrer des exemples concrets afin qu’il sache à quoi sert ce qui est au programme en 8H.

Evoquez-vous parfois votre parcours antérieur avec vos élèves?
Je leur ai brièvement dit que j’étais banquier en leur expliquant dans les grandes lignes ce que je faisais. En revanche, il m’arrive assez fréquemment de relier certains apprentissages à mon passé professionnel ou à mon expérience de vie, de façon à incarner les savoirs.

Quelles sont les compétences du banquier les plus utiles en classe?
J’ai l’habitude de planifier, d’organiser et d’être à la fois flexible et méthodique, ce qui se voit probablement dans l’organisation de ma classe. Dans la banque, on développe un côté très analytique et pragmatique, ainsi qu’un esprit orienté solutions doublé d’un sens de la débrouillardise, ce qui m’aide dans divers contextes. Au niveau des langues, j’ai eu la chance de les pratiquer en situation réelle de communication, donc en classe les mots d’anglais ou d’allemand surgissent très spontanément dans d’autres cours. Avoir une expérience professionnelle antérieure libère du mythe de l’enseignant qui devrait tout savoir, car on sait que pour apprendre il faut oser se tromper et prendre le risque de relever des défis.

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Jérôme Moulin dans sa classe à Martigny-Bourg

 

Pensez-vous que vos élèves perçoivent le sens de ce qu’ils doivent apprendre?
Pour une partie oui, tandis que pour une autre ce n’est pas trop ça, mais j’ambitionne de trouver au fil des mois comment les aider à faire des corrélations entre les apprentissages en classe et les connaissances et compétences nécessaires hors de l’école.

Diriez-vous que la question du transfert des apprentissages est liée à l’implication des élèves?
En partie. Pour que mes élèves perçoivent le sens des apprentissages et soient capables de faire des transferts d’un contexte à un autre, je cherche à les impliquer dans la vie de la classe afin qu’ils apprennent à prendre des décisions et à s’investir. Pour moi, il est ainsi naturel d’avoir un conseil de classe. J’essaie aussi de les préparer à la prochaine étape, à savoir l’organisation scolaire du CO, ce qui donne une dimension pratique à certaines de mes attentes au niveau de l’autonomie en particulier.

Les sorties pédagogiques ou les invitations d’intervenants sont-elles selon vous des pistes favorisant le tissage de liens?
Oui, même si j’ai encore peu d’expérience en la matière. Avec ma classe et celle d’un collègue, nous avons fait une sortie aux mines du Mont Chemin, ce qui était une formidable occasion de construire des ponts avec le cours de géographie. J’ai déjà prévu d’aller au Musée des Sciences de la Terre à Martigny, car là les occasions de transferts sont multiples. Je pense aussi laisser les élèves gérer une partie de l’organisation de la sortie de fin d’année, dont celle relative au budget. Quant à l’intérêt des témoignages en classe, j’en suis convaincu et j’envisage de compléter leur projet sur la Cité idéale, en invitant pourquoi pas un architecte. Les idées ne manquent pas.

Avez-vous expérimenté des situations où le transfert d’apprentissages vous a paru facilité?
La journée Futur en tous genres a été largement réinvestie, puisque les élèves ont présenté un exposé sur ce qu’ils avaient vécu après cette découverte d’un domaine d’activité sur le terrain. Le concret est ainsi revenu en classe à partir de leur perception du réel, ce qui était riche. Par ailleurs, je tente toujours de rebondir sur leurs questions, quitte à sortir un moment du programme, parce que ce sont des occasions à saisir pour insuffler le plaisir d’apprendre et entrecroiser le savoir scolaire avec ce qui peut faire sens pour eux.

«Le numérique est une porte vers le concret.»
Jérôme Moulin 

Percevez-vous le programme comme totalement adapté à ce dont vos élèves auront besoin pour leur vie future?
Totalement, non. Certains savoirs enseignés mériteraient d’être actualisés, mais dans le même temps il faut pouvoir construire sur des bases et tous les savoirs appris ne doivent pas forcément être utiles, d’autant que certains d’entre eux s’illuminent dans l’interdisciplinarité.

Le numérique semble important dans votre classe. Est-ce là une manière de relier les élèves au réel?
Absolument. Je n’envisage pas une classe qui utiliserait en permanence les écrans, toutefois j’ai la conviction que l’école doit familiariser les élèves aux compétences numériques parce que cela appartient à ce qui les environne hors de l’école, sans même parler de leur futur. Certains outils peuvent les aider à effectuer ce transfert d’apprentissages, mais aussi à avancer à leur rythme, qu’ils soient lents ou rapides. Un projet pour deux classes pilotes a été accepté au niveau communal et j’aimerais pouvoir faire de la programmation sur tablette avec mes élèves, domaine pour lequel ils seront assurément curieux. Reste que simplement profiter des possibilités technologiques en cours de langue par exemple ouvre à des échanges pour de vrai et les élèves adorent ces situations réelles. Le numérique est une porte vers le concret.

 

Propos recueillis par Nadia Revaz


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