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Regard de Sylvie Ouellet sur la persévérance scolaire

Sylvie Ouellet, psychopédagogue et musicothérapeute, s’est intéressée dans sa carrière professionnelle au rôle de la créativité et aux arts pour développer le potentiel – parfois invisible – de chaque élève et ainsi stimuler sa persévérance scolaire.

 

Sylvie Ouellet

Sylvie Ouellet a écrit des ouvrages en lien avec le goût de l’école.

 Elle s’est aussi interrogée sur les compétences nécessaires aux enseignants pour donner le goût de l’école, leur suggérant d’améliorer leur capacité de prendre de la distance par rapport au programme et avec certaines stratégies trop liées à la tâche, le développement des talents nécessitant selon la professeure d’université une approche plus globale. Via une entrevue menée à distance, il s’agissait aussi de connaître son argumentation critique à propos des Journées de la performance scolaire organisées chaque année au Québec. Selon elle, la persévérance doit être abordée dans une perspective systémique, au niveau des élèves, mais aussi des enseignants, des intervenants, des parents, de l’école et du ministère, tout en n’oubliant pas le parascolaire et l’extrascolaire.

INTERVIEW

A vos yeux, la persévérance s’articule-t-elle avec l’autonomie et la confiance?

Tout à fait. L’élève ne peut pas avoir d’autonomie si le cadre ne laisse pas de place à son autodétermination. C’est la même chose pour la confiance, le milieu jouant un rôle pour accompagner son développement. Quand on observe l’ensemble de ces concepts imbriqués avec la persévérance, on perçoit l’importance de mettre en relation l’apprentissage et l’enseignement. L’enseignant créatif ne peut être dans l’enseignement que lorsque l’élève est ouvert à la curiosité. Il s’agit de donner à l’élève le désir d’apprendre, de se dépasser et de réussir. Dans mes cours, je demande souvent si les enseignants estiment avoir le même goût de l’école que celui qui est exigé de leurs élèves.

En reliant la persévérance à l’accrochage scolaire, n’est-ce point déstabilisant que certains enseignants demandent aux élèves de poursuivre leurs efforts, sans les aider à trouver le sens des apprentissages?

En effet, cela questionne le système ainsi que la relation entre les enseignants et les élèves. Le travail émotionnel nécessaire autour de cette relation à l’autre est un peu invisibilisé, en raison de l’importance accordée par le système au curriculum et aux évaluations. Ce dont le jeune a d’abord besoin à travers l’action de l’enseignant, c’est pourtant de trouver du sens à l’école, en ayant le sentiment d’y être accueilli. J’ai beaucoup collaboré avec Nadia Rousseau, spécialiste de l’inclusion, et lors de nos discussions nous en arrivions au constat que certains jeunes ne décrochent pas, puisqu’ils n’ont jamais vraiment accroché, mis en difficulté dès leur entrée à l’école. Si je fais un parallèle artistique, avant d’entrer dans le langage musical, on explore beaucoup et peut-être qu’il serait judicieux de s’en inspirer pour entrer progressivement dans le langage scolaire.

«Sans sens, pas de persévérance.»
Sylvie Ouellet

 

La musique parvient à insuffler un élan de persévérance à ceux qui la pratiquent régulièrement. Pourquoi n’est-ce pas aussi évident avec les apprentissages scolaires?

Cela renvoie au sens rattaché à un cours, à un apprentissage ou à une activité, et à la part du choix associé à la motivation. L’approche par la musique, avec sa dimension d’art complet, est effectivement intéressante dans ce qu’elle pourrait apporter en classe.

En vue d’améliorer l’école, les élèves interviewés pour Résonances suggèrent fréquemment l’ajout d’une branche-passion qui selon eux les aiderait à se motiver et à persévérer dans d’autres disciplines scolaires. Partagez-vous leur analyse?

Absolument. Au Québec, il y a actuellement un projet en chantier concernant des programmes Art-études ou Sport-études pour tous les élèves du primaire et du secondaire, avec des contours adaptés selon les écoles et les structures à disposition. Les recherches ont montré que les élèves ayant des activités artistiques ou sportives ont une motivation augmentée et apprennent plus vite, notamment parce qu’ils rencontrent des spécialistes invités à venir partager leur passion. Jusqu’à récemment, ces options existaient, mais seulement pour les élèves ayant de bons résultats scolaires, tandis que là le projet est en voie de généralisation. Ce concept pourrait s’étendre à d’autres activités, en imaginant par exemple un programme en lien avec la technologie. Si l’on se focalise sur la persévérance, le décrochage, le non-décrochage ou l’accrochage, c’est probablement parce que l’école est en décalage avec les besoins des apprenants. 

Puisque le constat de la nécessité de réinterroger le sens de l’école semble clair d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, comment introduire le changement et par quoi commencer?

Selon moi, il n’y a pas de réponse universelle. Chaque établissement doit pouvoir trouver sa fenêtre pour entrer dans la problématique et déterminer la démarche appropriée en fonction de ses équipes et de sa réalité. En Espagne, des établissements scolaires qui accompagnaient des familles gitanes ayant initié ce questionnement ont décidé de prendre du temps pour que les acteurs et partenaires de l’école la définissent ensemble, de façon à avoir un cap et des valeurs en commun. Que l’on soit en milieu rural ou urbain, une telle approche favorise le sentiment d’appartenance, essentiel pour s’engager. Ce ne sont pas des campagnes standardisées autour de la persévérance qui changeront les choses en profondeur.

En quoi ces initiatives ratent-elles leur cible?

De mon point de vue, le focus n’est pas le bon. Si la persévérance se trouve dans une norme, c’est une approche appropriée, mais ne veut-on pas justement que l’école tienne compte de la diversité? Même des élèves qui réussissent bien scolairement peinent à percevoir la pertinence de l’école actuelle, et cela s’est accentué avec la pandémie, aussi il est urgent de réinterroger son sens. Si chaque centre scolaire pouvait réfléchir aux pistes pour comprendre comment mieux accompagner l’élève et assurer aux enseignants une formation continue de qualité, ce serait déjà un grand pas. Autrement, on se contente des refontes de programme, en introduisant de tout petits changements.

Ne faudrait-il pas débattre sur l’école, ce qui ne se fait plus guère en Suisse romande du moins?

Oui et en cela nos réalités sont assez similaires. Jusqu’au début des années 2000, nous avions une revue, soutenue par le ministère de l’Education et destinée aux enseignants, avec un comité de rédaction indépendant. Dans Vie pédagogique, la plupart des avis émanaient du terrain, mais cet espace de réflexion a disparu, après un bref passage en version exclusivement numérique. En mettant les élèves en projets, ce qui favoriserait leur autonomie et leur persévérance, on pourrait également imaginer des moments dédiés à l’échange et à l’entraide entre les enseignants. Notre société et notre école auraient besoin de moins de formulaires et de davantage de créativité, de fantaisie et de liberté.

Cette normalisation excessive pourrait-elle être l’une des explications au décrochage?

Lors d’une table ronde dans le cadre d’un colloque sur les troubles d’apprentissage, j’avais fait référence aux Manifestes en série du cinéaste Hugo Latulippe et du volet intitulé «Pourquoi repenser l’éducation?». Via ce documentaire, on comprend que refuser de prendre en compte la voix des élèves et de donner un nouveau sens à l’école, c’est les conduire à la quitter. J’insiste: sans sens, pas de persévérance. Ce sont les jeunes qui vont obliger l’école à redéfinir ses contours. D’autant plus qu’avec la pandémie, ils ont appris d’autres formes d’apprentissage, leur permettant de découvrir l’autonomie et la persévérance hors de l’école.

«Persévérance et performance
ne sont pas forcément associées.»
Sylvie Ouellet

 

Lorsque la persévérance est présente, engendre-t-elle automatiquement la réussite scolaire?

Persévérance et performance ne sont pas forcément associées. Je pense à de jeunes musiciens, moins performants, qui vont continuer à jouer avec assiduité et plaisir, tout en sachant qu’ils ne seront jamais des virtuoses. Avec une économie plus humaniste pour repenser notre système scolaire et la réussite, nous pourrions éviter bien des souffrances de ceux qui sont à la marge. Des bourses pourraient aussi favoriser le retour à l’école des jeunes adultes, qui découvrent tardivement l’envie de persévérer dans les apprentissages scolaires.

Propos recueillis par Nadia Revaz


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UNE CITATION

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Persévérance et autoefficacité

«Le sentiment d’autoefficacité est le déterminant le plus important : il influence le choix de l’activité dans laquelle l’élève décide de s’engager, l’effort qu’il déploie, la persévérance qu’il manifeste et son degré de réussite.»

Sylvie Ouellet in Soutenir le goût de l'école – Le plaisir d’apprendre ensemble (Presses de l'Université du Québec, 2018, 2e édition) 


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