Activités manipulatoires et sciences: l’exemple des leçons de Marie Curie
Marie Curie est souvent connue à travers son œuvre scientifique, ses deux prix Nobel et son engagement citoyen et social. Son goût prononcé pour l’enseignement expérimental est moins souvent évoqué, alors que Marie Curie a fait du partage des connaissances un fil rouge de sa carrière et l’a traduit par de nombreuses actions marquantes et inédites à son époque: première femme à la chaire de physique de la Sorbonne, introduction des premiers laboratoires scientifiques à l’Ecole normale supérieure des jeunes filles de Sèvres ou encore création d’une coopérative scolaire en 1907. Nous n’aurions peut-être pas souvenir de cette dernière initiative et des enseignements qu’elle a dispensés à ses enfants et aux enfants de ses amis pendant deux ans si le cahier d’une de ses «élèves» Isabelle Chavannes, n’avait pas été retrouvé et publié en 2003.
Le cahier original y décrit toutes les expériences et les trésors d’imagination et de pédagogie dont a fait preuve la double prix Nobel pour rendre accessibles, vivants et concrets des concepts de physique élémentaire: pression, poussée d’Archimède, densité… Dans ces leçons, chaque concept est systématiquement illustré par expérience réalisable avec du matériel simple et accessible. Fort de cette archive retrouvée inopinément, la fondation La main à la pâte, qui promeut des approches expérimentales et actives pour enseigner les sciences à l’école, a décliné 10 des leçons de Marie Curie sous forme de 40 expériences didactisées pour des classes d’école élémentaire et de collège. L’ensemble de ce matériel pédagogique (séquences de classes, vidéos, matériel…) est disponible gratuitement en ligne[1] et pour les parents dans un livre d’activités à faire à la maison[2]. Dans le même esprit que celui souhaité par Marie Curie, il s’agit de transmettre la science de manière simple et accessible et de traduire directement des concepts abstraits par l’action, l’observation et l’expérience.
Dans cet article, nous explorerons comment ce type d’activités expérimentales peut aider les jeunes enfants à approcher et comprendre certains concepts de base en sciences et faire ainsi plus facilement un lien entre théorie et pratique.
Qu’il s’agisse de comprendre la notion d’air, de mouvement ou d’énergie, les activités concrètes et manipulatoires offrent une solution qui permet de partir d’une réalité tangible d’observer, de décrire et de questionner des phénomènes de notre environnement proche et sensible. John Dewey, Célestin Freinet ou encore Maria Montessori ont montré l’importance de l’expérience directe et concrète dans la construction des apprentissages. L’éducation relève pour eux d’un processus actif et pratique et doit permettre aux élèves de développer leur compréhension du monde par l’action. De même, l’utilisation d’un matériel par les enfants est un vecteur pour stimuler leur curiosité et l’exploration par le faire. Loin de nous éloigner de concepts parfois abstraits, ces approches permettent d’en faciliter l’appropriation en suscitant le questionnement et en encourageant une manipulation préalable.
Les leçons créées par Marie Curie s’appuient sur une pratique accessible des sciences et mettent en avant une observation et une exploration du sujet étudié avec du matériel simple. Les enfants ne se contentaient plus d’écouter, mais participaient activement aux démonstrations. Cette pédagogie active non seulement renforçait leur engagement, mais éveillait également leur curiosité naturelle et leur désir d’en apprendre davantage.
Dans la version revisitée en 2024 par la fondation La main à la pâte, nous avons intégré de nouveaux éléments qui permettent d’assurer une meilleure construction des apprentissages en tenant compte de travaux plus récents sur les traces écrites, l’explicitation des objectifs notionnels, lien avec les scientifiques… L’activité débute systématiquement par une présentation d’un objectif notionnel traduit sous forme de question ou défi et se conclut par un message à retenir dans une formulation adaptée à l’âge des élèves. Des temps sont réservés au travail de groupe, à la réflexion collective comme individuelle, à la formulation des hypothèses, à la schématisation des dispositifs expérimentaux… Un livret individuel pour les élèves a été élaboré afin que chacun d’eux puisse structurer ses écrits. Il est complété par un texte explicatif que l’enfant pourra rapporter chez lui et partager avec sa famille. Enfin, un partenariat avec le CNRS a permis de réaliser des vidéos de chercheurs qui illustrent les concepts travaillés en classe (air, eau, vide) en évoquant l’objet de leurs recherches et leurs métiers.
Exemple tiré de la leçon «Comment l’eau arrive-t-elle au robinet?
Pour répondre à cette question posée par Marie Curie, on utilise un matériel simple: un récipient, un tuyau avec un entonnoir fixé à une extrémité et une sortie aménagée de l’autre côté du tuyau, un support pour tenir l’ensemble. Il s’agira pour les élèves de faire communiquer un réservoir, par un tuyau, à un tube muni sur le côté d’une sortie d’eau (voir illustration) et observer ce qui se passe en fonction de la hauteur à laquelle on positionne le réservoir[3].
Après un temps d’échange en amont de l’expérience, l’enseignante ou l’enseignant relève les représentations initiales des enfants sur le transport de l’eau dans les habitations et la connaissance des châteaux d’eau. Il présente ensuite le matériel et présente l’enjeu de l’expérience aux enfants. Les élèves dessinent et expliquent alors, dans leur livret, ce qu’ils pensent qu’il va se produire. Cela va leur permettre de confronter leurs représentations à la réalité lorsqu’ils vont ensuite réaliser eux-mêmes la manipulation. Ils réalisent par la suite l’expérience puis dessinent ce qu’ils ont observé.
En groupe classe, l’enseignant revient sur l’expérience et écoute le retour des enfants. Un lien peut alors être fait avec les représentations des élèves au tableau et dans leur livret. Cet échange permettra de structurer les nouvelles connaissances acquises par les enfants sous la forme d’une leçon construite ensemble. Il est également intéressant de faire remarquer aux enfants que la longueur du jet qui sort du tuyau n’est pas la même en fonction de la hauteur à laquelle on place le réservoir. L’enseignant amène ce constat par des questions. En fin d’activité, les élèves lisent une phrase issue de la leçon historique Marie Curie: «L’eau est amenée par un tuyau qui vient d’un réservoir placé plus haut que nos maisons.» Ils expliquent ce qu’ils en comprennent et comment ils font le lien avec ce qu’ils viennent de faire et d’apprendre.
En conclusion, les activités manipulatoires constituent une clé essentielle pour aider les élèves à comprendre et à apprendre les sciences et rendre celles-ci moins théoriques. Elles aident à transformer des concepts abstraits en réalités tangibles. Les leçons de Marie Curie, d’une apparente simplicité, illustrent le potentiel d’activités combinant pratique/réflexion et conceptualisation. Revues et enrichies, elles résonnent avec les principes mis en avant dans les pédagogies actives, les approches STEM (science, technologie, ingénierie, mathématiques) ou encore les fablabs. Ces déclinaisons modernes encouragent elles aussi une approche interactive et expérimentale de la science, tout comme Marie Curie l’avait fait en son temps.
L’auteur
David Jasmin
Docteur en physique
Directeur de la fondation La main à la pâte
Coordonnateur du réseau des Maisons pour la science
[1] https://fondation-lamap.org/les-lecons-de-marie-curie
[2] 40 expériences de physique élémentaire issues des Leçons de Marie Curie, E. Bernard, H. Arribart, D. Jasmin (Dir.), EDP Sciences (2024)
[3] Le détail de cette expérience est disponible en ligne.