Au fil de conversations en marge de la «summer university 2025»
Conversation avec Héloïse Durler et Laurent Bovey, professeurs à la HEP Vaud, deux des co-auteurs d’un ouvrage mettant en évidence les contradictions de l’inclusion, mais aussi avec Emeline Beckman et Tibère Schweizer, membres du groupe de recherche sur le langage et les inégalités sociales de l’Université de Fribourg, ainsi qu’avec Raphaelle Deshayes, responsable romande d'a:primo.
Laurent Bovey: «Ce qui m’a paru intéressant, c’était d’accoler les notions d’inclusion et d’inégalités qui ne sont habituellement pas corrélées de manière évidente, car l’entrée par l’inclusion a tendance à occulter la question des inégalités.»
Héloïse Durler: «Paradoxalement, se donner comme ambition la visée inclusive, telle qu’elle est pensée actuellement, empêche la transformation plus radicale de notre école, aussi c’est bien de pouvoir se poser la question des inégalités sociales.»
Emeline Beckman: «L’inclusion a été vue un peu comme une réponse à la gestion de la diversité et là on on découvre que le discours des uns et des autres masque des contradictions et démontre la nécessité de réfléchir ensemble sous l’angle des inégalités.»
Tibère Schweizer: «J’ai trouvé que quelque chose d’inquiétant s’est dégagé des ateliers, à savoir la solitude des enseignants face à la question des inégalités et cela me paraît lié à la dépolitisation des questions éducatives.»
Raphaelle Deshayes: «Tous ces questionnements remettent l’école au centre de la société, car elle est traversée par les inégalités sociales et nécessite la participation de toutes et tous.»
Au niveau des pistes pour aller plus loin, Laurent Bovey estime que la solitude des enseignants pourrait s’expliquer du fait qu’ils ne se sentent pas portés par un projet sociétal. Héloïse Durler pense que ces derniers sont en droit de savoir si l’école inclusive contribue à rendre la société moins inégalitaire, tout en précisant que ce questionnement n’est guère documenté. L’un et l’autre perçoivent aussi un enjeu dans le fait que les enseignants se retrouvent à «braconner» et qu’il faudrait s’interroger pour mesurer s’il n’y a pas un manque de reconnaissance de leurs compétences et de leur pouvoir d’agir. Tibère Schweizer se demande s’il ne s’agirait pas d’oser réfléchir autrement à partir de la reproduction sociale en déterminant ce que l’école veut reproduire ou non de la société. Emeline Beckman plaide pour le détour historique afin d’identifier les élans intéressants et les échecs cuisants du passé. De son côté, Raphaelle Deshayes estime que les synergies sont encore trop basées sur des engagements forts de quelques individus, alors que penser la constellation d’acteurs autour de l’enfant pourrait changer les choses plus en profondeur. Considérer l’existant sans jugement et ne pas multiplier les couches d’injonctions venues d’en haut serait peut-être une piste à suivre pour dépasser certaines discussions stériles et lancer un vaste débat sur les finalités de l’école…
Conversation avec Corinne Monney, responsable de la filière MAES à la HEP Valais, et Marie-Paule Matthey, responsable de la pratique dans le cadre de cette filière, l’une et l’autre ayant organisé de la «Summer University 2025».
Corinne Monney: «Les participants ont pu enrichir leur réflexion et leur pratique professionnelle, car ils ont parlé inclusion pendant deux jours, également dans les moments informels, car pour nous il était primordial que les échanges ne se limitent pas aux seuls espaces formels.»
Marie-Paule Matthey: «Ce qui est réjouissant, c’est de voir combien les étudiants étaient preneurs du programme proposé, faisant place aux réflexions et aux pistes concrètes pour mieux comprendre et dépasser les tensions qu’ils vivent par rapport à l’inclusion.»
Tout comme les participants, Corinne Monney et Marie-Paule Matthey repartent du colloque avec une manière légèrement différente de voir les inégalités et l’inclusion, grâce à toutes les interactions. Corinne Monney estime que c’est précieux de prendre le temps de déconstruire pour mieux reconstruire, tandis que Marie-Paule Matthey est encore plus convaincue de la dimension secondaire de la question terminologique entre intégration et inclusion, la base étant à ses yeux la lutte contre l’exclusion. Elle avoue aussi avoir affiné ses connaissances dans le cadre de l’atelier sur les outils numériques pour favoriser un environnement capacitant. Corinne Monney a été particulièrement sensible à une remarque d’une ancienne étudiante, devenue enseignante spécialisée, lui ayant dit combien ce colloque lui avait redonné un élan de curiosité pour ne pas rester dans ses habitudes.
DES LECTURES POUR ALLER PLUS LOIN
Au nom de l’inclusion
L. Bovey, H. Durler, P. Losego, V. Angelucci et A. Sotirov, (2025). Au nom de l’inclusion. Les contradictions d’une ambition scolaire. Epistémé.
https://www.epflpress.org/produit/1543/9782889155996/au-nom-de-l-inclusion
Inclusion scolaire et inégalités
F. Gremion, L. Gremion, C. Monney et M.-P. Matthey (2024). Inclusion scolaire et inégalités: perspectives plurielles et bilan sur les défis. Editions HEP-BEJUNE, collection Recherches.
https://www.hep-bejune.ch/Htdocs/Files/v/7283.pdf
DES SITES POUR ALLER PLUS LOIN
A propos de l’association a:primo
L’association a:primo, avec ses offres petits:pas et ping:pong, vise à soutenir, tant en Suisse allemande qu’en Suisse romande, les enfants en âge préscolaire grandissant dans un contexte de vulnérabilité sociale.
Groupe de recherche sur le langage et les inégalités sociales
Sous la houlette du professeur Alexandre Duchêne, un groupe de recherche de l’université de Fribourg s’intéresse au langage et aux inégalités sociales.
https://www.unifr.ch/pluriling/fr/recherche/langage-et-inegalites-sociales.html