Monique Tête, conseillère en orientation dans deux CO
Monique Tête est psychologue conseillère en orientation dans les cycles d’orientation de Saint-Maurice et d’Orsières. Au fil de la conversation, elle évoque son activité dans les deux CO ainsi que l’organisation annuelle dans la cité agaunoise du «Speed Recruiting», mis sur pied pour le CO et l’EPP de la Tuilerie, les deux écoles étant dirigées par Alain Grandjean. Il est aussi question des enjeux de l’orientation.
Alors qu’elle était élève au CO, Monique Tête n’avait pas envisagé de devenir conseillère en orientation. Elle admet avoir été attirée par ce métier un peu par hasard, construisant ensuite son parcours progressivement. Après la scolarité obligatoire, elle a opté pour le collège, puis a choisi d’étudier en faculté de psychologie, se spécialisant dans la psychologie en orientation professionnelle. Elle a longtemps accompagné les adultes.
INTERVIEW
Monique Tête, conseillère en orientation
au CO de Saint-Maurice et au CO d’Orsières
Travailler avec un public d’adultes ou d’adolescents, est-ce similaire?
Ce sont deux contextes très différents. Dans une école, nous faisons de l’orientation «classique», avec notamment l’accompagnement dans la découverte des intérêts et la construction d’un choix professionnel, alors qu'avec les adultes, c'est plus souvent de l'aide à l'insertion.
La réalité de l’orientation varie-t-elle entre le CO d’Orsières et celui de Saint-Maurice?
Ces CO ont des tailles et des contextes familiaux et économiques spécifiques, créant ainsi des univers distincts. Evoluer dans ces deux environnements est stimulant, car je peux me référer à des réalités vraiment différentes sur bien des aspects.
Quelle est votre journée type?
Mon métier est très varié, mais pendant les heures de cours, j’enchaîne les entretiens avec les élèves. Certains demandent un rendez-vous, d’autres viennent sur recommandation des enseignants ou sont envoyés par leurs parents. Au début de l’année, je fais des visites de classe pour présenter l’orientation et les impliquer dans le processus.
La tendance est-elle au rendez-vous unique ou au suivi?
S’il s’agit d’un projet d’orientation, je rencontre les élèves la plupart du temps plusieurs fois. En orientation, une simple demande peut cacher des enjeux complexes, tels que des conflits entre leurs attentes et celles de leurs parents ou des craintes profondes. De l’extérieur, on voit un élève qui revient avec des précisions sur une formation, un métier ou les résultats d’un test, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Dans la part invisible, il y a tout ce qui se joue au niveau psychologique pour identifier les freins et les moteurs. Pour exemple, il s’avère parfois nécessaire de creuser pour comprendre pourquoi un élève ne fait pas de stages.
Qu’est-ce qui vous motive dans votre travail auprès des jeunes?
C’est de pouvoir les accompagner au début du chemin de l’orientation, et de voir que même ceux qui ont d’importantes difficultés ont des possibilités d’épanouissement. J’aime aider les élèves à construire leurs projets et collaborer avec la direction d’école, les titulaires, les enseignants spécialisés, mais également avoir des contacts avec un vaste réseau, comme dans le cadre de la journée de «Speed Recruiting».
Quel est l’objectif principal «Speed Recruiting», organisé pour la 3e fois en janvier 2025?
Cette journée vise à connecter des jeunes qui souhaiteraient décrocher un stage ou un apprentissage avec des entreprises ayant du mal à trouver des candidats. Les élèves sont dans un environnement familier et, grâce au suivi de toute une équipe, ils sont bien préparés pour les entretiens.
Le plus souvent, Monique Tête enchaîne les rendez-vous
pour accompagner les élèves
dans la découverte de leurs intérêts professionnels.
Peut-on dire que le «Speed Recruiting» est le point culminant d’un long processus de préparation?
Oui, avec un échéancier sur plusieurs mois. A l’automne, nous cherchons des entreprises intéressées par la démarche et à la recherche d’apprentis. Les informations sont envoyées aux élèves début novembre. La documentation pour les parents et les élèves a été améliorée, et les inscriptions se font maintenant en ligne. Aidés par les titulaires, les élèves doivent remplir une fiche de préparation pour chaque entretien. Pour les filles, comme elles font des choix toujours très stéréotypés, cette année nous avons décliné au féminin la liste des métiers par domaine. Jusqu’au jour J, il faut encourager certains jeunes à oser se lancer, en les rassurant sur le fait que rien ne sera signé lors du «Speed Recruiting», ce rendez-vous étant un premier contact pouvant aboutir à un stage ou à un deuxième entretien. En dernière minute, il y a tout un jeu d’inscriptions et de désinscriptions, mais n’oublions pas que ce sont des adolescents face à un choix délicat, même si en tant qu’adultes on sait que les parcours peuvent très bien se construire avec des détours.
Tout le CO collabore-t-il à ce projet?
Sans l’implication de toute l’école, de la direction au secrétariat, en passant par les enseignants, ce serait mission impossible. Du côté de l’orientation, nous sommes deux à porter le projet, ce qui change tout. La collaboration avec ma collègue Barbara Délèze, conseillère en orientation à l’école préprofessionnelle, est très enrichissante.
Une telle démarche ferait-elle sens au CO d’Orsières?
Au départ, Cédric Vergère, directeur de l’Office d’orientation, a envisagé la généralisation de la démarche, mais chaque CO a sa réalité. Les cycles d’orientation de montagne sont souvent reliés aux entreprises situées aux alentours. A Orsières, les élèves font des stages dès la 9CO et se sentent moins démunis. Au CO de Saint-Maurice, beaucoup de familles sont d’origine étrangère et de milieux défavorisés, dès lors le «Speed Recruiting» facilite la mise en relation.
Sachant que d’aucuns reprochent aux conseillers en orientation de privilégier les voies menant aux études par manque de connaissance de la réalité des apprentissages, est-ce une manière indirecte de montrer votre capacité à rapprocher école et entreprises?
Disons que nous prouvons le contraire. Très clairement, je réfute la critique envers le travail de l’orientation qui serait plus d’un côté que de l’autre, son rôle étant d’être neutre. C’est toutefois l’occasion d’étoffer le réseau, en ayant des contacts avec des patrons et des responsables RH d’entreprises, et de mieux connaître leurs attentes et difficultés.
Les choix d’orientation sont-ils de plus en plus complexes, notamment en raison de la multiplication des professions possibles?
La liste des professions s’allonge, ce qui rend difficile le choix de carrière pour les élèves du CO qui ne connaissent pas les tâches spécifiques de certains métiers aux noms peu évocateurs. Par ailleurs, le passage à la vie active est de plus en plus tardif en raison de facteurs sociaux. Dans le même temps, les élèves bénéficient de tout un dispositif d’aides, avec les cours d’éducation des choix, les séances Passeport Info les mercredis après-midi, le Salon des formations et des métiers Your Challenge organisé tous les deux ans à Martigny en alternance avec la Journée des métiers, les nombreuses vidéos sur le portail suisse de l’orientation, etc. Dans beaucoup de CO, dont celui d’Orsières, il y a désormais des Rallyes Entreprises qui sont proposés pour permettre aux jeunes d’élargir leurs connaissances du monde professionnel environnant.
«En orientation, une simple demande peut cacher des enjeux complexes.»
Monique Tête
Le décrochage scolaire de certains élèves impacte-t-il le travail de l’orientation?
Absolument. Il y a des élèves qui s’éloignent de l’école et ne sont pas prêts pour autant à entrer dans le monde professionnel. Certains ont de la peine à se projeter dans l’avenir, n’ayant pas conscience des enjeux.
Quels sont à vos yeux les principaux défis de l’orientation dans les écoles du secondaire I?
Si je fais le lien avec le «Speed Recruiting», c’est de faire matcher les envies des élèves et les besoins des entreprises, en d’autres termes les rêves des jeunes avec la réalité du monde économique. Dans les faits, ce n’est pas le défi de l’orientation seule, c’est celui de toute la société. Le marché du travail cherche des jeunes motivés dans les métiers manuels et artisanaux, mais il y a un manque d’intérêt, en partie dû à l’image dévalorisée que certains parents en ont, malgré les efforts des associations professionnelles. Chacun a tendance à penser que c’est à l’autre partenaire de résoudre les problèmes, mais tout le monde est concerné: l’élève, l’école, sa famille, les entreprises, les associations professionnelles, le Service de l’enseignement, avec l’orientation située au carrefour.
Les jeunes choisissent-ils trop souvent les mêmes métiers?
Oui. Lors de la préparation du «Speed Recruiting», avant les relances, sur 46 métiers proposés, 21 d’entre eux avaient entre zéro et deux candidats. La majorité se regroupait sur 4 métiers, celui d’employé de commerce devançant largement tous les autres. Notre défi majeur est d’élargir les horizons des jeunes, en leur permettant de découvrir plusieurs possibilités dans les domaines qui leur plaisent.
«Notre défi majeur est d’élargir les horizons des jeunes.»
Monique Tête
Quelles pistes aimeriez-vous explorer?
Pour rassurer nos jeunes, lors de la présentation des filières, je souhaiterais que les directeurs viennent accompagnés d’apprentis ou d’étudiants, sachant que beaucoup n’ont pas forcément trouvé leur voie immédiatement. Pour le «Speed Recruiting», nous réfléchissons à l’ajout d’une phase en amont, afin que les entreprises puissent se présenter auprès des jeunes, avec idéalement certains de leurs apprentis qui montreraient quelques facettes des métiers les moins connus. En outre, lors du premier contact avec le monde du travail, il est primordial que les adolescents en aient une bonne image, donc c’est un point à ne pas négliger. Peut-être devrions-nous donner aux jeunes davantage de temps pour trouver leur voie, en gardant à l’esprit la flexibilité de notre système de formation en Suisse. Pour me rassurer, lorsque je ressens un sentiment d’impuissance à changer les choses, je me dis que mon travail, c’est de semer des petites graines au début d’un parcours d’orientation…
Propos recueillis par Nadia Revaz